L’aqueduc a connu bien des guerres depuis 2 000 ans. Il a vu passer les Wisigoths que le Gardon séparait des Francs (825), il a vu se battre les armées de Charles Martel (836) au sud des tunnels de Sernhac et a vécu les dégâts que ce dernier a fait subir à notre région. Il a connu les guerres de religion lors des réfections de 1702, les affres de la Tour de Constance, la Saint-Barthélémy et les Michelades à la place aux herbes à Nîmes, la Révolution française sur tous ses sites, l’arrachement de la plaque commémorative des travaux des Etats du Languedoc, la guerre de 1870, celle de 1914-1918 et enfin celle de 1939-1944.
Jusqu’en 1914 on cultivait l’olivier partout où il y avait un peu de terre et quand la pierre l’en empêchait, on l’extrayait. Chaque petit paysan était agriculteur à la bonne saison, carrier ou bouscatier (bûcheron) en hiver. La pierre était vendue aux maçons, le bois aux boulangers. A partir du mois d’octobre, les villageois avaient le droit de ramasser le « bois mort et gisant » pour se chauffer et faire leur cuisine. A l’automne, ils récoltaient les glands pour nourrir leurs cochons.
Cela dura jusqu’en 1940. Vint alors l’occupation des armées allemandes qui dans la commune de Vers, de Castillon et de Remoulins investirent la garrigue entre ces villages pour installer le plus grand dépôt de munitions du sud de la France. L’état major major allemand avait pris possession du château de Saint-Privat et des hôtels du pont du Gard, le vieux moulin et l’ex-hôtel Labourel. C’en était fini de l’accès dans les garrigues qui abritaient désormais 150 tas de bombes au sein des trois communes ; Certes le libre accès au pont du Gard n’a jamais été interdit, sauf actuellement où nos élus républicains ont voté sa suppression, ce qui est une première !
Impossible durant cette période de cueillir ses olives, de ramasser du bois, de récolter des glands. Dans la campagne versoise, l’aqueduc était isolé, inatteignable ; il n’était une suite d’épis pierreux plus importants dans la commune de Vers qu’ailleurs. Seul, le pont du Gard présentait de l’intérêt. Il faudra attendre 1944, la fin de l’occupation de la garrigue par l’armée d’occupation pour la redécouvrir.
Mais durant la majeure partie du XXe siècle, des hommes motivés se sont intéressés à ce pont. Ce furent les propriétaires du château de Saint-Privat, les familles Caldéron, Roucher, Fenwick, des chercheurs bénévoles : Félix Mazauric, inventeur de la célèbre grotte Baume Latrone dont les dessins digités sont antérieurs aux peintures de Lascaux, l’abbé Bayol curé à Collias qui a fouillé une grande partie de la basse vallée du Gardon et ses grottes, le commandant Emile Espérandieu auteur d’un célèbre petit livre Le pont du Gard (Ed. Laurens, Paris, 1926) sur lequel s’appuient encore amateurs et chercheurs. Pendant cette période de nombreuses initiatives ont été avancées pour protéger le monument et le préserver de ses dégradations. On arrêta l’extraction des galets par l’explosion des dynamites à 80 m de l’ouvrage, on se soucia des déformations des piles, on fixa des repères contre les piles qui se fendillent, on prit des mesures pour contrôler la circulation sur le pont Pitot (pont routier), on intervint à trois reprises dans le siècle pour limiter le creusement des affouillements sous les piles immergées des pont romain et pont Pitot. Certes on laissa creuser le lit du Gardon par des dragues pour mieux exploiter sable et gravier au risque de provoquer des courants néfastes à la solidité des piles en temps de crues. Fin 1990, début des années 2000, et surtout après les crues de 2002, sous l’insistance du CIDS, les services du département entreprirent de grands travaux pour protéger ces parties subaquatiques des ponts.
En 1937, on injecta du mortier liquide a forte teneur dans les interstices des blocs de pierre. Ce ne fut pas une initiative heureuse, l’amalgame en séchant, trop riche, arrachait les bords des pierres.
Notons les extraordinaires travaux qui ont été entrepris en 1980-1990, sous la responsabilité de plusieurs archéologues, en particulier Guilhem Fabre, Jean-Luc Fiches, Jean-Louis Paillet et réalisés en grande partie par une association bénévole locale, Les amis de l’aqueduc romain, qui concernait les douze communes riveraines d’Uzès à Nîmes et présidée successivement, dans son ensemble par MM. Slipper et Jean-Pierre Beaumont et, localement, à Vers, par Gérard Rébuffat. Plusieurs membres du futur CIDS participèrent à ces travaux et auraient souhaité, dans les années 1990-1994, lors de la grande bagarre contre le projet d’aménagement de l’époque, que les Amis de l’aqueduc les rejoignent, ce qu’ils n’ont pas fait.
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Les illuminations qu’on renouvelle hélas chaque année depuis cette décennie n’apportent rien au volet culturel du site, mais perturbent évidemment toute une faune installée dans cet écrin de verdure1. Il faut espérer que les services de la Culture, deviendront, comme le sont ceux de la Justice, suffisamment indépendants pour s’opposer aux méfaits des attractions commerciales. Culture et commerce peuvent pourtant cohabiter, mais dans certaines conditions.
- les molosses de Cestoni par exemple, cette espèce de chauves souris qui ne vivent plus qu’au pont du Gard et dans les gorges de l’Ardèche, ayant besoin d’une chute importante dans le vide pour s’envoler [↩]