L’histoire des franchissements du Gard et des Gardons

A l’époque d’Henri Pitot, comment franchissait-on la rivière à Remoulins ?

Observons un extrait de la carte de 1697 d’Henri Gautier (né à Nîmes en 1660 et mort à Paris en 1737, inspecteur général du royaume de France, sa carrière ressemble beaucoup à celle de Henri Pitot ; il fut comme lui ingénieur au canal de l’entre-deux mers).

Cette carte du diocèse de Nîmes est la plus vieille carte levée de la région nîmoise et de ses environs. Antérieure à la carte de Cassini, elle nous montre que, pour franchir le Gard(on) à Remoulins, les possibilités sont limitées :

  • en amont, il y a le pont Saint Nicolas-de-Campagnac qui existe depuis 1260. C’est le seul pont qui permet un franchissement en toute sécurité par charrette lors d’une gardonnade (crue du Gardon) ; mais il fallait faire un grand détour et le chemin d’accès côté Nîmes était difficile,
  • juste en aval de Remoulins, il y avait un gué, mais il était dangereux,
  • à Remoulins, en période de crue de la rivière, il était possible d’emprunter le pont romain à cheval ou avec de très petits chargements par mulet. Un chemin existait pour se rendre au pont du Gard, mais il était parfois sous les eaux et il fallait faire un détour.

Par temps sec, à Remoulins, on utilisait un gué et un bac pour les voyageurs :

« Le grand chemin Royal ou la grande route du bas Languedoc a Lion, Paris, et du coté de Provence passe près du village de Remoulin ou il faut traverser la rivière du Gardon au gué ou dans une barque ».

Extrait adjudication du 3 avril 1743, extrait d’un manuscrit de Pitot,

Pour les besoins du négoce, le franchissement du Gardon à Remoulins était un point de première importance. Un trafic considérable de charrettes, voitures, piétons, cavaliers s’y déployait. La route d’Uzès à Beaucaire, siège d’une foire importante, passait par Remoulins.
Mais la route principale passant par Remoulins permettait au nord l’accès à la vallée du Rhône (on franchissait le Rhône par le pont médiéval de Pont-Saint-Esprit) et au sud on rejoignait les villes de Nîmes, Montpellier, Béziers, Narbonne et Toulouse avec une antenne sur Perpignan. C’était la voie de communication du service des postes royales et d’un service de diligence pour les voyageurs.

Ce service de transport efficace comportait des relais où l’on relevait les chevaux et où l’on faisait étape pour la nuit. Il permettait, à l’époque de Pitot, de joindre Nîmes à Paris en 9 jours. On faisait des étapes journalières de 75 kilomètres. Les relais s’effectuaient à Pont-Saint-Esprit, Montélimar, Valence, Lyon, Macon, Arnay-le-Duc, Vermenton, Pont-sur-Yonne et Paris. Ce service de voyageurs était très bien organisé, fiable et sûr.

Toutefois, un simple passage à gué et une barque pour franchir le Gardon à Remoulins, sur un tel axe de communication, n’était pas une bonne solution ; en effet le Gardon était souvent en crue, il détériorait le gué de Remoulins et il fallait se détourner par le  Pont Saint Nicolas. Cette situation n’était pas favorable aux échanges économiques.
De plus, il fallait stratégiquement faciliter les mouvements des troupes en cas de conflits (pour les troubles intérieurs – révolte des Camisards de 1702 à 1709 ou pour les conflits extérieurs – guerre avec l’Espagne), construire une traversée « tous temps », quelles que soient les conditions de débit de la rivière. L’édification d’un pont s’imposa petit à petit…mais le Gardon, avec ses crues répétitives, ses débits de 6000 m3/s et sa vitesse de courant élevée, en fit reculer plus d’un dans cette ambition de le franchir à cet endroit !