Préface par Georges REVERDY

Ingénieur Général des Ponts et Chaussées

Henri Gautier n’a sans doute pas été un génie, mais certainement un esprit original, curieux de tout, annonçant un peu l’Encyclopédie. A une époque où les sciences et les techniques n’étaient pas encore bien différenciées, il s’est intéressé à bien des domaines, successivement docteur en médecine, ingénieur de la marine, des fortifications, cartographe…. puis ingénieur des ponts et des chaussées, le premier peut-être, bien avant la création de l’école et avant même celle du corps. On peut lui trouver une ressemblance avec Joseph Dubois, qui fut lui-même un des premiers directeurs des ponts, chaussées et levées du Royaume, et donc le directeur de Gautier, après avoir été reçu d’abord comme lui docteur en médecine, puis être devenu subdélégué à l’intendance de Limoges et maire de Brive, où il réalisa une grande œuvre d’urbanisme et de travaux publics.

La présente publication veut le faire mieux connaître, car il est resté jusqu’ici largement inconnu, et si l’on peut suivre sa carrière, on en ignore encore bien des détails, notamment sur les ouvrages qu’il a étudiés ou construits, en Languedoc ou ailleurs. Il y a pourtant trente ans que Pierre Fustier, dans son remarquable ouvrage « La Route », lui avait consacré plus de dix pages, et en avait fait le modèle des ingénieurs du Languedoc, formés sur les grands chantiers de Pierre Paul de Riquet, et ensuite pionniers en matière de nivellement et de conduite des travaux. Mais ce n’est qu’au cours des dernières décennies que la route a pris une place de plus en plus grande dans notre société et l’a conduit à se passionner pour son histoire.

Gautier était né à Nîmes en 1660, et après avoir été peu de temps médecin, il s’intéressa plutôt au génie civil et devint ingénieur du Languedoc. Sous l’autorité de l’intendant Lamoignon de Basville, il participa à la construction des fameux chemins des Cévennes, qui n’étaient d’ailleurs pas tous aussi larges et aussi roulants qu’on peut le penser. Dans une préface de 1714, il fait allusion à « son expérience de plusieurs années dans la conduite de divers ouvrages publics d’une des plus vastes provinces du Royaume. » Mais il faut savoir que les beaux ponts du XVIIIème siècle en Languedoc, dont on admire toujours l’architecture, sont bien postérieurs à son passage. Il monta ensuite à Paris et fit partie en 1713 de la première « promotion » d’inspecteurs généraux, qui devaient tous être révoqués trois ans plus tard. On sait seulement qu’à ce titre « il a conduit en 1714 les ouvrages de la route de Brie, par Tournan et Rosoy, et qu’en 1715 il s’est transporté à Bourbonne-les-Bains, où il a conduit les ouvrages qui étaient pour lors à y faire. » Mais lors du rétablissement définitif et de l’organisation de l’administration des ponts et chaussées en 1716, avec La Hite comme seul inspecteur général, Gabriel comme architecte et premier ingénieur des ponts et chaussées du Royaume, il se retrouva parmi les trois ingénieurs architectes, inspecteurs particuliers des ponts et chaussées, au-dessus des dix-neuf ingénieurs envoyés dans les généralités des pays d’élections. Ses deux collègues d’alors, de la Guêpière et Fayolle, sont moins connus encore que lui. Il fut retraité avec une bonne pension en 1731 et mourut en 1737.

Si le souvenir de Gautier subsiste mieux que celui de beaucoup de ses contemporains, c’est grâce à la fécondité de sa plume et à son talent d’écrivain.

On trouvera ici l’étonnante variété de sa bibliographie. Parmi ses ouvrages, émergent

  • son « Traité de la construction des chemins », publié d’abord à Toulouse en 1693, puis dans une nouvelle édition à Paris en 1721, dont Perronet conservait un exemplaire dans sa bibliothèque, et qui donna même lieu à une édition allemande en 1750
  • et son « Traité des ponts », publié à Paris en 1716, avec une nouvelle édition en 1728, qui comportait ses réponses aux cinq difficultés qu’il avait soumises aux savants dans son premier ouvrage (sur l’épaisseur des culées, la largeur des piles, la portée des voussoirs…).

Il faut reconnaître que ces deux ouvrages sont assez touffus, parfois même confus ; on y parle des chemins à propos des ponts et des ponts à propos des chemins ; on y parle même des canaux de navigation, d’arrosage, de l’abattage des mâts … bref de tous les sujets sur lesquels Gautier avait des idées.

Mais tels quels, ils sont d’un intérêt inestimable par l’abondance de la documentation qu’ils renferment, sans parler de la clarté de beaucoup de définitions ; et ils sont restés l’un et l’autre inégalés pendant tout le XVIIIème siècle, surtout pour les chemins, avant l’apparition de techniques vraiment nouvelles et la publication de nouveaux traités.

Georges Reverdy

RETOUR