Sur les ponts du Languedoc

La notoriété de GAUTIER s’affirme. A cette époque, le représentant local du maître d’ouvrage des routes importantes du royaume, c’est l’intendant.

Sous la monarchie, au temps de GAUTIER, l’organisation administrative de la France est très différente. Les circonscriptions administratives fondamentales sont les généralités correspondant à la surface de 3 de nos départements en moyenne. La province du Languedoc est un pays d’Etats qui vote donc ses impôts, c’est une province riche et développée, la seule à posséder deux généralités : Toulouse, la ville la plus peuplée et Montpellier. La ville de Nîmes constitue la ville la plus « industrielle » et la deuxième en importance de population.

Aux commandes de cette structure, il y a un seul homme : l’intendant. C’est un « superpréfet » puisqu’il a compétence en matière de justice, de police et de finance. Il est nommé et révocable par le Roi, pourvu d’appointements fixes. Le Roi prend grand soin dans le choix de ses responsables locaux ; il nomme à ces postes des hommes compétents, issus le plus souvent de la grande bourgeoisie, jamais natifs de la province où ils doivent exercer leur charge administrative et pour de longues périodes. La durée, la compétence et l’indépendance territoriale (familiale et de corps vis à vis de la noblesse) ont créé ces grands « commis du Roi », efficaces, à l’écoute de leur territoire et au service du Roi bien évidemment.

Du temps de GAUTIER, l’intendant du Languedoc compétent à Toulouse et Montpellier, mais en résidence à Montpellier est Nicolas Lamoignon de Basville (1658-1718) qui pendant 33 ans exerce cette fonction. Un tel pouvoir ne va pas sans susciter des critiques et des jalousies, mais l’intendant de Basville a une action déterminante dans la modernisation et le développement économique. Il a tout à la fois un rôle administratif classique et un rôle « technique »

  • développant une politique de grands travaux
  • complétant et rénovant le réseau routier
  • améliorant le rendement agricole

Pour moderniser le pays, comme aujourd’hui, il faut un maître d’ouvrage, un maître d’œuvre, des entreprises qui réalisent et bien sûr de l’argent. A l’époque de GAUTIER, marquée par un cycle de guerres nombreuses et coûteuses, c’est l’argent qui manque le plus ! Rien d’étonnant à ce que le Maître d’ouvrage (l’intendant Basville) favorise l’émergence de nombreux maîtres d’œuvre tels que GAUTIER et les associe aux nombreuses réalisations de la province, comme le pont de Coursan sur l’Aude, entre Béziers et Narbonne et plus tard les chemins des Cévennes dans un double but.

  • favoriser les échanges économiques,
  • aider au maintien de l’ordre

et permettre le déplacement des troupes dans un secteur où existait un foyer de rébellion (guerre des camisards) contre le pouvoir central.

On comprend comment de Basville, utilisant son champ de compétences, réussit à asseoir le pouvoir du Roi.

Le pont de Coursan est l’œuvre majeure de GAUTIER sous la commande de Basville.

Ce pont de maçonnerie de 110 mètres de longueur est constitué de 5 arches dont 4 seulement sont actuellement visibles :

  • 2 arches « plein cintre » d’extrémités de 10,50 et 11,90 m. d’ouverture
  • 3 arches « elliptiques » principales de 21 et 20 m d’ouverture pour des hauteurs sous intrados de 7,50 à 6,00 m. Elles reposent sur des piles pourvues d’avant-becs triangulaires. Le tablier a été élargi par encorbellement postérieurement.

    Pour ce pont, la volonté de GAUTIER a été de privilégier avant tout son ouverture hydraulique.

La technique des « ouïes » qui donne un aspect très particulier à cet ouvrage, très semblable au Pont Neuf de Toulouse, est une technique déjà connue des Romains (ex : le pont d’AMBRUSSUM franchissant le Vidourle sur la voie Domitienne ou le pont JULIEN à APT).

Cette technique permet :

  • l’allégement de la structure maçonnée,
  • la décharge hydraulique sur les tympans.

Elle était très utilisée en Italie : le pont de PRATO (banlieue de Florence) sur la rivière Bisenzio (affluent du fleuve ARNO) est le pont jumeau de celui de Coursan. Le pont actuel est une reconstruction d’un pont de pierre de la même époque.

C’est à l’un des grands caprices de l’Aude que l’on doit certainement la construction de cet imposant ouvrage. En effet, en octobre 1632, le Roi Louis XIII et la Reine de France, en visite dans les états du Languedoc, faillirent bien périr.

Dans l’histoire générale du Languedoc, on note que :

« Le 14 octobre 1632, après que le Roi Louis XIII, la Reine, suivis de toute la Cour étant partis de Béziers à 11 heures du matin pour se rendre à Narbonne eurent passé l’Aude à gué à 4 heures du soir (sans doute au lieu-dit « La Barque »), il s’éleva aussitôt un orage extrêmement violent accompagné d’éclairs et de tonnerre et d’une si grande abondance de pluie qu’en moins de 2 heures, la rivière et tous les ruisseaux du voisinage s’étant débordés, inondèrent toute la plaine à une lieue aux environs de Narbonne, ce qui produisit une fange si épaisse, que la plupart des carrosses et fourgons de la Cour s’embourbèrent et que presque tous les cochers ou charretiers furent obligés de dételer leurs chevaux et d’abandonner le bagage pour se sauver. Plusieurs autres n’ayant pu le faire périrent, entre autres 2 Femmes de la Reine qu’on ne pût secourir à cause de la violence du vent et de la pluie qui durèrent toute la nuit et pendant l’espace de 30 heures ; deux muletiers avec 10 mulets qui portaient une des chambres du Roi y périrent aussi. La Reine y perdit 4 carrosses avec tout son bagage. Les autres personnes de la Cour y perdirent à proportion. Les gens d’armes du Roi, tous leurs bagages et le régiment des gardes, la moitié du sien. 

Parmi ceux qui furent noyés, on compte 20 soldats du régiment des gardes, 60 de celui de Navarre, 40 de celui de Vervius dont le colonel perdit tous ses équipages, 60 de celui de Tonneins et 80 autres personnes, sans compter un grand nombre de chevaux et de mulets.

Une heure plus tôt, le Roi et la Reine auraient été noyés … »

En ces temps-là, on franchit l’Aude à gué ou en bac. Charles IX, un siècle auparavant, a fait édifier un pont en bois sur lequel il passe d’ailleurs le 4 janvier 1565 avec sa mère Catherine de Médicis, mais cet ouvrage ne tarde pas à être emporté par une crue de l’Aude.

C’est à Richelieu, passant à gué le 31 mai 1642, à l’endroit précis où s’est produit l’événement mémorable – décrit ci-dessus – que l’on doit la décision d’édifier le pont de Coursan.

Il a fallu 50 ans pour que le projet soit mis à exécution et ce n’est que le 1er décembre 1685 que les états généraux du Languedoc votent une imposition annuelle de 20.000 livres pendant 5 ans pour la réalisation du pont sur l’Aude à Coursan. Commencé vers 1690, le chantier dirigé par GAUTIER dure de nombreuses années. Entre temps, GAUTIER se marie avec une demoiselle Elisabeth de Vernoux, à Capestang, village proche de Béziers. Il n’a qu’une fille de cette union car son épouse meurt très tôt.

Il se remarie à Nîmes, le 27 février 1700 avec Suzanne GUIRAUD dont il a deux enfants, Antoine, qui comme son père s’oriente vers le génie civil et Jeanne.

Suzanne Guiraud [ 6 ] est peut-être apparentée à un autre Ingénieur du Roi, Pierre Guiraud.

En 1704, GAUTIER reçoit 100 livres de la part des consuls pour avoir fait les plans et les devis des murailles destinées à protéger les faubourgs de Nîmes d’une action éventuelle des Camisards (projet non réalisé).

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